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Je ne suis pas avec vous aujourd’hui pour raison de santé, mais l’influence des œuvres de Ferenczi est toujours pour moi d’une importance primordiale. Pour les théories comme pour les pratiques. On parle de la révolution psychanalytique depuis longtemps, et chacun sait combien Ferenczi y a contribué au premier plan, par l’intensité de ses échanges avec Freud, tous deux épistoliers acharnés, par leurs rencontres, voyages, projets de travail en commun, de 1908 à 1933, scandés par leurs transferts réciproques jusqu’à l’analyse que Sándor a souhaité impérativement faire avec Freud, pour se libérer de ses fixations anciennes et de ses symptômes. Ferenczi est resté pour Freud son « Paladin et grand vizir secret », jusqu’aux prises de positions divergentes et assumées et donc la distance s’est installée entre eux. J’ai fait de cette formule, en 1985, le titre de ma première étude sur Ferenczi en m’appuyant sur leur correspondance que nous étions en train de traduire, avec l’équipe du Coq-Héron, à Paris. Plus tard, en 2011, j’ai réédité ce travail complété, sous le titre Sándor Ferenczi, un pionnier de la clinique. De nombreux auteurs anglais, américains, québécois, espagnols, italiens et hongrois, sont désormais sur la même longueur d’ondes ; j’apprécie tout particulièrement les textes de Judith Dupont, nièce de Michael Balint, de Jefffrey M. Masson, traducteur de la correspondance complète entre Freud et Fliess, et récemment le livre d’Yves Lugrin, Ferenczi sur le divan de Freud …
On détruit toujours une culture spécifique par haine de l’autre qui en est l’origine et le garant parce qu’il impose grâce à elle ses modèles et ses valeurs. Mais ces équivalents de meurtres sont en soi la preuve de la valeur que les destructeurs attachent à ce qu’ils veulent éradiquer en les détruisant. Tout autre est le pourrissement de la culture quand le désir de beauté quelle que soit l’expression qui en résulte est rongé de l’intérieur par d’autres critères qui l’ignorent, comme celui de la rentabilité financière. La destruction de toute culture ne pourrait se faire que par l’annihilation du sens même de la notion de culture.
C’est en s’intéressant à l’ordinaire de la vie – et en particulier de la sienne – que l’homme Freud est devenu savant, un savant dès lors bien embarrassé par ses confidences, incarnant bien malgré lui le héros d’un savoir scandaleux qu’il aura bien de la peine à faire entendre alors même qu’il constitue le propre (!) de l’homme ; et ce d’autant plus que les conduites de ses semblables, y compris de ses collaborateurs eux-mêmes, le conduiront à reconsidérer ses élaborations.
L’évaluation clinique du soin institutionnel apparaît aussi impossible que nécessaire. À partir des notions d’intersubjectivité, de symbolisation et de la proposition originale de l’art de « birlibirloque », l’auteur propose une formalisation de la démarche évaluatrice du soin.
Ce n’est qu’en 1913 que Freud justifie analytiquement son « cérémonial » le soustrayant au regard, qu’il impose en 1904. Et s’il recourt à l’argument du transfert, il néglige curieusement la « pulsion de regarder » dont l’'élaboration l’a pourtant mobilisé d’importance ces années-là. Comment comprendre pareille négligence ? C’est que la résolution de l’énigme du regard l’impliquait intimement, ouvrant sur ce monde pulsionnel qui fut d’abord le sien et qu’il lui fallut s’approprier avant d’en élaborer ce savoir inouï continuant de faire scandale.
Il s’était demandé comment écrire aujourd’hui ce lieu qui mobilisait autant d’enjeux personnels et représentait à ce point les prémices d’une rencontre jusque-là impossible puisqu’il n’était pas retourné en Algérie depuis 1962 ? C’était la première question, la première inquiétude qui s’était imposée à lui. Car c’est en termes de rencontre et non pas de retour qu’aurait pu se formuler cet impossible. Et pour cela à quelle écriture se fier, se confier, car c’était aussi de confiance et d’écriture dont il était question ?...
Le concept de psychose est en voie de démantèlement dans la psychiatrie actuelle, celle des dsm. Cet article retrace cette évolution notamment depuis les années 1970. Il réaffirme en même temps l’importance de ce concept de psychose pour la psychanalyse, en faisant le point sur son contenu d’aujourd’hui.
Hommage à Alain de Mijolla (1933-2019)
Docteur en médecine, neuropsychiatre, psychanalyste, membre du Committee on Archives and History (ipa), Alain de Mijolla, né à Paris le 15 mai 1933, est décédé le 24 janvier 2019. Il a été inhumé au cimetière de Bagnolet, après une cérémonie funéraire aux Batignolles. Il est élevé par ses grands-parents, et son grand-père, « Papé », lui donne le goût de l’histoire. Après les années d’école primaire, il est un excellent élève au lycée Saint-Michel-de-Picpus, dans le 12e arrondissement de Paris. Ses études de médecine et de psychiatrie terminées, il est un temps médecin des hôpitaux psychiatriques.
Il se forme comme psychanalyste (avec Conrad Stein et supervision avec Denise Braunschweig), devient membre en 1968 et titulaire en 1975 de la Société psychanalytique de Paris (dont il démissionnera en 2007). Collègue cultivé, actif, habité de passions (histoire, musique, cinéma, théâtre, amitiés, bonne chaire), Alain de Mijolla laisse une œuvre analytique ainsi qu’une œuvre institutionnelle et éditoriale originales. Avec son collègue aixois Jacques Caïn, il organise de 1982 à 1993 les « Rencontres d’Aix », en Provence, débats autour d’un thème (par exemple, « Souffrance, plaisir et pensée », en 1982, « L’autobiographie » en 1987, « À la musique… » en 1991), qui se tiennent dans une petite chapelle fraîche, dans une atmosphère amicale, avec conférences et ateliers, dans la période du Festival de musique, ce qui permet le soir d’assister aux concerts.
En 1985, Alain de Mijolla fonde l’Association internationale d’histoire de la psychanalyse, dont il est le président jusqu’en 2011. Il sollicite tout analyste ayant témoigné par ses écrits de son intérêt pour l’Histoire, et, fédérateur, regroupe bientôt bon nombre de chercheurs, historiens, socio-politiciens, et bien sûr, traducteurs, écrivains, mais aussi amateurs intéressés. Son but : faire l’histoire de cette discipline, qui, bien qu’ébauchée par Freud, n’existe pas encore comme telle. Des champs de recherche sont proposés sur « l’histoire de la psychanalyse et de son fondateur », l’étude des découvertes, des biographies des proches et des disciples, l’histoire du mouvement depuis l’origine, ses développements, sa place dans les sciences. La création d’un Comité scientifique international et d’un petit noyau organisationnel : secrétariats scientifique, administratif, et les rédacteurs du petit Journal (biannuel en français et en anglais) font tourner cette nouvelle association.
Véritable aventure scientifique pour le président-fondateur et les collègues qui le suivent, en France – d’abord une poignée, qui se réunit rue de Grenelle, puis rue du Commandant-Mouchotte –, bientôt des dizaines de Sociétés psychanalytiques de par le monde ; des groupes de recherche se forment en France et dans plusieurs pays.
Tous les deux ans se tient, en période estivale, la « Rencontre internationale de l’aihp », où, chose rare, le temps de parole des orateurs est le même que celui de l’audience, ce qui permet un vrai débat. Ces rencontres se sont tenues à Paris, Vienne, Londres, Bruxelles, Berlin, Paris, Londres, Rome, Barcelone, Versailles, Athènes, etc. En 1996, afin de marquer le centenaire de la psychanalyse, la rencontre est organisée à Paris avec l’apf, le Quatrième Groupe et la spp.
Une revue annuelle, la Revue internationale d’histoire de la psychanalyse, d’un volume plutôt inattendu (de 460 à 746 pages) voit le jour, en 1988, aux Puf. Les travaux des Rencontres y sont publiés, recherches pointues comme « L’engagement sociopolitique des analystes », « L’édition de l’œuvre de Freud », « La formation des analystes », etc., ainsi que des conférences et travaux divers : compte-rendus d’ouvrages, d’évènements, ainsi que de nombreux documents inédits.
Durant un temps, Alain de Mijolla tient un Séminaire d’histoire de la psychanalyse à l’ehess, où beaucoup d’entre nous ont pu donner des communications.
Signalons également le tout premier colloque à Paris, en 1988, sur la Correspondance Freud-Ferenczi, co-organisé par l’aihp et Judith Dupont avec André Haynal, afin d’aider à la publication de cette correspondance unique. Nous avions tous travaillé à partir des Minutes des lettres de Freud et de Ferenczi, traduites, rédigées et… prêtées par Judith. Les communications sont parues dans les numéros 2 et 3 de la Revue.
Hélas, cette revue si précieuse, mais en échec commercial, doit arrêter de paraître après six énormes numéros.
Enfin, en 1995, Alain entreprend la rédaction du Dictionnaire international de psychanalyse, aidé par un comité éditorial composé de Sophie de Mijolla Mellor, Roger Perron et Bernard Golse, et des conseillers. Il est publié en deux volumes, chez Calmann-Lévy, en 2002 : concepts, notions, biographies, œuvres, évènements, institutions…, soient 1572 entrées, rédigées par 460 chercheurs internationaux. Ce Dictionnaire est traduit en plusieurs langues et réédité chez Hachette, avec de nouveaux ajouts, dont les entrées récentes, biographiques, de Nathalie Zaltzman et Jean-Paul Valabrega.
Si ce passionné d’histoire n’était pas un historien diplômé, il l’est devenu, en travaillant de manière « artisanale ». Infatigable chasseur d’archives, il traque les mythes et les erreurs écrites sur Freud, et se fait aider si besoin par des collègues formés à l’historiographie.
Dans notre propre analyse et dans l’écoute de nos patients et analysants, ne sommes-nous pas en quelque sorte continuellement dans les secrets de leurs histoires familiales et dans la grande Histoire également ? Ne nous formons-nous pas souvent d’abord « sur le tas » ? Après l’expérience du divan et sa propre recherche sur les identifications et les fantasmes d’identification, Alain de Mijolla continue à s’intéresser aux secrets de famille, qui se faufilent d’une génération à l’autre. Ainsi, son essai sur Arthur Rimbaud le lance dans l’historiographie : il commence par une enquête, via les nombreuses biographies écrites sur Rimbaud et reprenant sa généalogie, ainsi que le silence et l’absence du père dans la vie et les écrits du poète, fait l’hypothèse d’une identification inconsciente d’Arthur avec son père, le capitaine Frédéric Rimbaud, déserteur de l’armée (et du domicile familial alors qu’Arthur a 6 ans). Ses amis Nicolas Abraham et Maria Torok l’encouragent dans sa recherche, proche de la leur (sur le fantôme et la crypte). Mais Alain de Mijolla préfère le terme intergénérationnel à transgénérationnel (N. Abraham), trop près de l’occulte, de la transe qui omet le tiers transmetteur.
Essai remarquable, jouant sur l’évocation du film de Marcel Carné et Jacques Prévert (1942), où « l’occupant » du moi, chez A. Rimbaud, l’entraîne à sa perte. Cet essai lui vaut le prix Bouvet en 1976.
Directeur de la collection « Confluents psychanalytiques » aux Belles Lettres, il a aussi la responsabilité de la collection « Histoire de la psychanalyse » aux Puf et fait traduire des ouvrages importants : la Correspondance Freud-Jones, de P. Gay Un juif sans dieu, de Hirschmüller Josef Breuer ; de King et Steiner La controverse Anna Freud-Melanie Klein (1941-1945) ; de H. et M. Vermorel Sigmund Freud et Romain Rolland. D’autres ouvrages publiés dans cette collection : C. Lorin, Sándor Ferenczi. De la médecine à la psychanalyse ; R. Roussillon Du baquet de Messmer au « baquet « de Freud.
En 2004, Alain de Mijolla recevra le Sigourney Award pour son œuvre. Il donne ses archives à l’imec en 2014. Travailleur infatigable – et qui a fait travailler son équipe – A. de Mijolla semble avoir réussi dans toutes ses entreprises, sauf une : il regrettait disait-il son manque d’influence, pour cette nouvelle discipline, l’histoire de la psychanalyse, sur nombre de collègues analystes et surtout les universitaires…
Sa bibliographie : Pour une psychanalyse de l’alcoolisme, avec S.A. Shentoub (Payot, 1973) ; Les mots de Freud (Hachette, 1982) ; 100 Questions sur Freud (La Boétie, 1984) ; La psychanalyse, avec S. de Mijolla Mellor (Puf, 2008, 5e éd.) ; Fragments d’histoire (Puf, 2003) ; Préhistoires de famille (Puf, 2015) ; Freud et la France (Puf, 2010) ; La France et Freud, 2 tomes (Puf, 2013-2016) ; Sabina la « Juive » de Carl Jung (Pierre Guillaume de Roux, 2014) ; L’identification selon Freud. Une notion en devenir (In Press, 2017).
Si la psychanalyse est une théorie de l’inconscient, elle n’en est pas l’inventeur. L’existence de forces obscures insues du sujet, mais agissantes pour le pire (le symptôme) comme pour le meilleur (la thérapeutique), est connue depuis bien longtemps. Pourtant, notre époque semble vouer une haine forcenée à cette insulte faite à l’individu postmoderne, autonome, positif, épanoui et maître de lui-même. Aussi absurde que la chasse au Snark de Lewis Carroll, la chasse à l’inconscient s’organise aujourd’hui dans la ferme intention d’éradiquer l’espèce. Car l’inconscient encombre, il dérange le mythe contemporain de réalisation de soi-même par le développement personnel. Pour autant, on ne saurait conclure qu’il y a une volonté délibérée d’en finir avec l’inconscient mais plutôt que la volonté d’ignorer l’inconscient est… inconsciente !
Le psychanalyste entendant qui reçoit un enfant sourd est confronté à une expérience déroutante, car la surdité le touche dans des zones psychiques et physiques inhabituelles, et parfois inconnues. La surdité de l’un rend l’autre sourd. Elle constitue, en ce sens, un handicap partagé, mutuel. L’analyste va donc devoir repérer les effets de cette surdité en lui-même. Une élaboration particulièrement fine de son contre-transfert lui sera nécessaire pour explorer ce monde très différent du sien (rapport au corps, au silence, au mouvement, aux langues…) qui bouscule sa psyché. La pratique de la langue des signes, la connaissance des représentations de la surdité et des sourds à travers les âges, ainsi que des violences qui leur furent faites, lui seront également utiles dans la compréhension des fantasmes et des peurs encore à l’œuvre dans les relations entre sourds et entendants. Les violences d’effacement du XXème siècle envers les sourds (stérilisation, avortement, mises à mort…) résonnent avec la quasi-interdiction de la langue des signes au siècle précédent, et laissent des traces psychiques à repérer et à décrypter dans les cures.
Encore aujourd’hui, nous nous posons les mêmes questions que les fondateurs de la psychanalyse, alors que les conditions de vie sont différentes en ce XXIe siècle. Comment pouvons-nous tenir compte de ces changements dans notre travail de psychanalyste pour que les analysants puissent s’engager dans une cure ? Et comment pouvons-nous, les analystes, entendre ce que disent nos collègues sans nous embourber dans des jugements et des critiques ?
Ce récit de la cure d’un enfant souffrant d’angoisse s’articule autour des notions de Nicolas Abraham et de Maria Torok d’Unité Duelle et d’Introjection. La cure se termine par un jeu qui résonne comme un conte à l’oreille de l’analyste.
L’auteure, s’appuyant sur de récentes parutions du philosophe Éric Sadin et des psychanalystes Serge Tisseron et Frédéric Tordo autour des retentissements sur la civilisation et sur la vie et le psychisme individuel des développements accélérés des technologies numériques et robotiques, interpelle la réflexion des psychanalystes sur les effets dans leur pratique de cette nouvelle réalité sociétale.
« L’Algérie, traversées » a été d’abord un projet qui nous a tenu à cœur, Anne Roche, Catherine Mazauric et moi-même. Le projet de réaliser cette rencontre précisément dans le cadre de Cerisy lui a donné une valeur et un sens bien particulier. Edith Heurgon nous a soutenu tout au long de sa préparation, je tiens ici à l’en remercier pour nous trois. Ce projet s’est construit autour d’un constat partagé : il nous a semblé que l’heure était désormais venue en Algérie pour un véritable renouveau apporté par les œuvres de culture. Leur vitalité, leur diversité, leur impertinence, en témoignent et débouchent sur une nouvelle page en train de s’écrire, non seulement et au sens le plus large du terme, dans le champ culturel en Algérie, mais aussi dans le champ des relations encore trop souvent intriquées et confuses entre la France et l’Algérie…
